CHRONIQUE. La crise du coronavirus a vu l’émergence d’un nouvel état de partage et d’aide, la « covidialité ». À notre charge de le faire perdurer.
L’évolution procède de deux mécanismes fondamentaux : la sélection naturelle qui donne une prime de survie aux êtres les plus adaptés et non pas les plus forts et l’émergence, phénomène imprévu qui consiste en l’irruption d’une nouvelle structure inerte ou vivante de complexité supérieure à la somme des parties qui l’engendrent.
Aujourd’hui, la survenue brutale d’une pandémie virale bouleverse le monde dans lequel nous vivons et échangeons, nous produisons et circulons. Ce n’est pas un hasard si le Covid-19 chamboule la planète du Nord au Sud et d’Est en Ouest. Les crises comme les maladies sont les révélateurs de nos dysfonctionnements qui nous forcent à repenser nos organisations et à envisager autrement nos finalités.
Continuer à agir au service de la population
L’exécutif s’appuyant sur des considérations scientifiques a pris la lourde décision politique d’une mise à l’arrêt de l’économie pour enrayer la propagation de « ce mal qui répand la terreur ». Or, quoi qu’il en coûte, il faut continuer à assurer des soins, produire de la nourriture, de l’énergie, pérenniser des échanges indispensables et organiser des transports. En clair, se débrouiller pour agir au service de la population malgré des contraintes particulièrement restrictives.
Alors le génie humain dans son sens inné de la collaboration et de la sympathie a montré son plus beau visage. Bien sûr, il y a des tricheurs et des profiteurs, mais malgré la claustration imposée, le gros du peuple s’est retrouvé dans un exceptionnel état de partage et d’aide que l’on pourrait appeler « covidialité » en souvenir de cet ennemi nanométrique qui nous nargue, le Covid-19. « Co » pour signifier avec, « vi » qui sonne comme vie et « dia » qui témoigne d’une action quotidienne.
La covidialité est la réponse imprévue à une agression sous la forme d’une formidable capacité de transformation de son savoir et de son agir pour répondre au défit que génèrent les manques, les limitations et interdits de toutes sortes. Les soignants se sont mis à collaborer comme jamais ils ne l’avaient fait auparavant. L’accroissement de l’exercice partagé entre les hôpitaux, les cliniques, les médecins de ville, pharmaciens et infirmières libérales est admirable et je le salue, mais il s’agit de collaboration, schéma classique dans lequel chacun reste à son poste pour produire les biens qu’il sait faire.
Une entraide nouvelle
En revanche, la covidialité concerne un apprentissage sur le tas de gestes et de techniques différents comme ces chirurgiens prêtant main-forte aux aides-soignantes et infirmières afin de retourner les malades intubés et ventilés en réanimation. Il s’agit de gestes précis à coordonner qui ne s’improvisent pas, sachant qu’il faut environ trente minutes pour passer de la position ventrale à dorsale des patients souvent obèses plongés dans le coma.
Partout où le virus attaquait en débordant les moyens de défense locaux, des femmes et des hommes ont quitté leur carapace professionnelle pour aider les autres, se porter au secours des patients, des personnes âgées, isolées et des exclus. Des entreprises ont modifié leurs chaînes de production pour tisser des masques, usiner des embouts de respirateurs artificiels ou d’autres pièces nécessaires. Des étudiants sont allés dénicher des blouses, des masques et des charlottes partout où on pouvait en trouver. Des adolescentes ont appris à coudre avec leurs grands-mères des tissus pour nous protéger. D’innombrables actions de solidarité locales ont permis une réponse profondément humaine à l’agression biologique qui nous menaçait et au manque de moyens dont le pays disposait.
Admiration et respect
La covidialité est bien plus qu’une simple agilité. Elle ressemble à de la plasticité à la puissance dix ! À savoir une utilisation différente des techniques apprises, bousculant nos possibilités physiques et psychiques afin d’intervenir dans le but de soulager et de rendre service.
Combien d’entrepreneurs, d’employés et d’artisans ont-ils manifesté cette covidialité ? Combien d’administrateurs et de fonctionnaires ont-ils chamboulé leurs habitudes et règlements pour répondre à l’urgence ? Des centaines de milliers de femmes et d’hommes ont osé inverser les hiérarchies, piétiner les directives pour inventer des solutions de secours dont certaines persisteront une fois la pandémie disparue. Tous méritent admiration et respect.
Covidialité : nom commun du genre féminin
Capacité à quitter brusquement son champ d’action immédiat dans un élan personnel et collectif pour répondre à l’urgence d’une demande d’aide de soins, d’approvisionnement, de protection et d’organisation nouvelle.
L’homme dévoile au travers de cette covidialité sa face la plus belle, la plus noble, celle de l’amour de l’autre. Jamais aucune intelligence artificielle ni aucun robot ne seront en mesure de déployer un tel génie d’adaptation et d’émergence. Le biologique se positionne ainsi loin devant la mécanique et le numérique en termes de covidialité, mot que nous devrions garder en souvenir d’une rude époque qui vit l’éclosion de tant de générosité et de savoir faire imprévus.