Paris, le 9 février 2024.
Que penseriez-vous d’une entreprise qui élabore son budget avant d’être claire sur sa stratégie et sa vision à moyen long terme ? Que diriez-vous d’un manager qui, avant d’avoir une vision globale pour son entreprise, décide que chaque service fera son propre projet ? Vous penseriez que ce manager a un problème de compréhension systémique du fonctionnement de l’entreprise, et de la sienne en particulier. Et comme Platon, vous le feriez « sortir de la République avec des fleurs ». C’est une question de bon sens qui ne vous aura pas échappé.
Pourtant, ce qui peut échapper à votre entendement, c’est que le système de santé fonctionne exactement ainsi. Avant d’en avoir une vision globale, les administrations territoriales ont déjà leurs projets, alors même que les financements ne sont pas encore votés.
Un chaud-froid de système aussi indigeste qu’inefficace
Ainsi, le projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) est discuté en octobre-novembre et promulgué en décembre, les projets régionaux de santé sont discutés au sein des régions et vont être adoptés incessamment pour quatre ans, et la Stratégie nationale de santé ne sera disponible dans sa forme définitive qu’en 2024 et valable pour les dix prochaines années. C’est la grande valse des temporalités, la gigue des invraisemblances et la danse macabre pour les patients, les élus locaux et les professionnels de santé. On aboutit alors à des contresens aberrants, tel que celui où la prévention (pourtant annoncée au frontispice du ministère de la Santé), se voit bloquée par le ministère des Finances dans le cas de l’activité physique adaptée. Ajoutez à cette mixture, le piment des corporatismes et l’umami de l’hypernorme administrative à la française, et vous obtiendrez un chaud-froid de système aussi indigeste qu’inefficace.
Le seul dénominateur commun est l’absence d’évaluation de mesures disparates
Mais voyons encore plus loin. Le concept de One Health va devenir opérant, une fois que celui-ci aura su dépasser les cercles d’initiés où il reste trop confiné ; il doit infuser l’ensemble des professionnels du monde de la santé humaine, animale, végétale et environnementale. Or ce que l’on nomme en France « Une seule santé » intéresse onze ministères et trente directions générales administratives. Sans même parler de la fonction publique territoriale : ce sont près de 2,5 millions de fonctionnaires qu’il va falloir former pour changer les angles de vision et la façon d’envisager de nouvelles relations de travail avec des professionnels mal identifiés ou inconnus. Car que représentent les Chambres d’agriculture pour l’administration de la santé ? Las… On découvre qu’il existe un Plan national de santé environnementale (PNSE) et autant de Plans régionaux que de régions (sachant qu’on en est aux PRSE4). Le seul dénominateur commun est l’absence d’évaluation de mesures disparates, dont on ne mesure pas les influences réciproques, alors même que le concept d’une santé globale en est issu !
La conjonction temporelle et méthodologique n’est donc pas au rendez-vous. Celle des stratégies le sera-t-elle ? Rien n’est moins sûr. Dans ce millefeuille de recommandations, d’avis, d’arrêtés et de plans, comment demander à des professionnels de terrain de monter des projets concrets au sein des territoires ? Comment donner aux patients la visibilité sur leurs parcours de soins ? Comment repenser l’organisation du système social pour favoriser l’inévitable évolution vers « une seule santé » ? Comment, simplement, réformer l’hôpital ?
Une nécessité de passer à l’action
Cyrille Isaac-Sibille, député et fin connaisseur du système de santé ne s’y est pas trompé, qui a déposé une proposition de loi pour aligner le projet de loi de financement de la Sécurité sociale avec la Stratégie nationale de santé… Un autre député, Jean-Carles Grelier, porte quant à lui une proposition de loi de programmation en santé, prônant une simplification et une clarification drastique de la gouvernance et des responsabilités pour accroître la puissance d’action publique ; le principe de « subsidiarité inversée », qui pose a priori la confiance envers les acteurs de terrain ; la nécessité d’une vision politique et d’objectifs stratégiques en santé, en passant d’une approche comptable à une stratégie globale et pluriannuelle ; et enfin, la mise en œuvre d’un Service de santé au public, incluant tous les acteurs dès lors qu’ils remplissent la même mission au service des usagers. On le voit, les enjeux progressent, il faut maintenant passer à l’action.
Concentrons chaque institution sur le rôle où elle sera la meilleure ! L’État comme stratège, le Parlement dans la définition et la vision politique, la Cour des comptes dans la mesure et l’évaluation, les administrations centrales dans la déclinaison de la vision politique, les administrations déconcentrées dans l’accompagnement des acteurs. Tout ceci restreindrait considérablement la gabegie. Sinon le réchauffement ubuesque et kafkaïen sera très vite atteint !
Les Électrons
Didier Bazzochi, Sophie Beaupère (déléguée générale Unicancer), Vincent Dael (doctorant en droit de la santé), Frédérique Debroucker (senior director économie de la santé et remboursement Europe de l’Ouest, Medtronic), Philippe Denormandie (chirurgien neuro-orthopédiste), Olivier Mariotte (président, nile), Béatrice Noëllec (déléguée générale, FHP), Vincent Olivier (président de Recto-Verso), Jean-Paul Ortiz (past président CSMF), Benoît Péricard (président d’une association médicosociale), Isabelle Riom (médecin urgentiste), Guy Vallancien (Académie de médecine).